lundi 19 septembre 2016

Toute la misère du monde, bis

Quand j'ai commencé ce blog, je voulais le consacrer à l'autisme. Mais il se passe des choses en Europe au sujet desquelles je ne peux pas me taire.

Ma grand-mère me parlait hier des déclarations de Nicolas Sarkozy au sujet des migrants. Elle exprimait un accord timide avec ses propos, alors qu'il y a plusieurs mois, elle disait comprendre les demandeurs d'asile qui fuient la Syrie et l'Irak : elle se souvient de sa propre terreur lors de la Deuxième Guerre Mondiale, et comment sa famille a fui la Belgique, réfugiés eux aussi ! Pour la première fois, je me suis mise en colère devant elle, alors que je l'adore et que nous sommes très proches.

Question, donc, à Nicolas Sarkozy à propos des demandeurs d'asile : "Est-ce que, vraiment, c'est insoutenable, 12 000 personnes sur 65 millions?"

Je passe outre son ton condescendant envers la journaliste... Il ose donner la réponse la plus populo, la plus exagérée et la plus ridicule à mon sens : "La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde". Parce que 12 000 personnes, c'est toute la misère du monde ? Bordel, il y a des MILLIARDS de gens qui souffrent par le monde, on ne nous a jamais demandé de TOUS les accueillir ! Il a encore le toupet de dire que ceux qui se voient refuser l'asile tombent dans l'illégalité (ce qui est souvent vrai, je l'admets) pour "profiter d'autres possibilités". Quelles possibilités, au juste ? Quand on est sans papiers, on a aucun accès à la protection sociale ou aux soins de santé (sauf les soins d'urgence... et encore !), aucun accès à un emploi déclaré, aucun espoir de bâtir une vie meilleure. Ils restent parce que chez eux, ils n'ont plus rien que la mort et les ruines, la menace et la souffrance.

"La France et l'Europe sont les continents, les pays les plus généreux". Laissez-moi rire ! L'accueil des demandeurs d'asile en France? Zéro pointé. Un exemple : une dame qui avait demandé l'asile en Belgique et avait accouché sur le territoire belge a été renvoyée en France car elle tombait sous le "Règlement Dublin". Sa terreur était de se retrouver à la rue avec son bébé. Nous avons tenté de la rassurer, car sûrement, la France ne laisserait pas à la rue une mère et son nouveau-né ? Apparemment, si. Nous avons appris par après qu'il n'y avait de place nulle part pour elle. Quelle générosité, en effet !

Les demandeurs d'asile, je les fréquente tous les jours. Ils ne sont pas ici pour profiter. Chez eux, ils exerçaient des professions libérales, vivaient dans de grandes villas, roulaient dans de belles voitures. Ils ont tout perdu, détruit par les bombes, et/ou vendu afin de fuir. Dans mon centre, ils vivent dans un ancien hôpital vétuste, partageant une chambre avec 3, 5, 7 autres personnes ; des cuisines et des douches avec 15 ou 20 personnes... Ils attendent 6 mois, 9 mois, un an ou plus une réponse du CGRA. Si leur demande d'asile est acceptée, il leur faudra trouver un logement et un emploi, en partant de zéro (alors que, je le répète, avant la guerre, chez eux, ils avaient tout). C'est profiter, ça ?



Je ne parle même pas du fait que le statut de réfugié, d'illimité, est devenu limité à 5 ans (donc, vous passez 5 ans à reconstruire votre vie, puis, potentiellement, paf ! on peut vous prier d'aller voir ailleurs).

Et ceux qui sont déboutés ? Nombreux sont ceux qui me disent : "Rentrer au pays, j'aimerais bien, si je pouvais, mais ce n'est pas possible. Si je rentre, je suis mort."

Dites-moi : que répondre à une dame qui a vu sa demande d'asile refusée, qui a tout vendu au pays pour payer les passeurs, dont la famille là-bas a soit été massacrée, soit a disparu... et qui vous dit : "Si ce n'était que moi, ce ne serait pas si grave.  Mais mes filles [7 et 13 ans], que vont-elles devenir ? Elles commencent leur deuxième année à l'école en Belgique, elle parlent bien français... que vont-elles devenir ?"



Vous pourriez la regarder dans les yeux et lui dire : "Désolé, Khadija*, on ne peut pas accueillir toute la misère du monde !" ?
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 * Khadija est un nom d'emprunt, et les photos proviennent d'internet et non pas de mon centre, par respect et pour protéger la vie privée des personnes dont je m'occupe.