vendredi 13 novembre 2015

Toute la misère du monde...

Encore un article qui n'a rien à voir avec le syndrome d'Asperger - à moins peut-être que le fait de faire partie d'une minorité et d'être "différente" m'aide à éprouver de la compassion pour l'étranger, le "différent", et celui qu'on rejette.

Une platitude trop entendue quand je parle de mon travail dans un centre d'Accueil des Demandeurs d'Asile (ADA) et qui m'horripile :
 
"On ne peut pas accueillir toute la misère du monde!".

On ne nous demande pas d'accueillir toute la misère du monde. En Belgique, les dernières statistiques recensent environ 27.000 demandeurs d'asile en 2015 (moins que les plus de 40.000 de 2010). D'ici la fin de l'année, ils seront peut-être 35.000. Si "toute la misère du monde" venait se réfugier chez nous, ils seraient des millions, voire des milliards.

Ce qui m'amène à mon second point. Crise ou pas crise, nous faisons partie d'une minorité "privilégiée". Nous n'avons probablement pas à nous interroger sur l'origine de notre prochain repas, ou sur l'endroit où nous allons dormir. Nous n'avons à craindre ni les bombardements, ni la décapitation, ni les persécutions à cause de nos idées, de notre foi ou de notre style de vie. Nous jouissons d'une immense liberté et nous avons plus que le nécessaire. De plus, la seule raison pour laquelle nous profitons de ces privilèges est que nous sommes nés au bon endroit. Nous n'avons rien fait pour les mériter. Alors de quel droit rejetons-nous ceux qui ont moins de chance?

Les demandeurs d'asile qui arrivent pour l'instant en Belgique ne resteront pas tous. Certain, quand ils se rendent compte des conditions dans lesquelles ils vont devoir vivre pour une durée indéterminée (allez visiter un "Campo", pour voir), décident de rentrer chez eux. D'autres verront leur demande d'asile refusée - les critères sont stricts et la procédure compliquée. D'autres encore n'obtiendront qu'une protection subsidiaire limitée dans le temps : si après un certain temps la situation dans leur pays s'est améliorée, il leur sera demandé de quitter la Belgique. 

D'autres enfin resteront. Ils seront des travailleurs et des consommateurs qui feront tourner l'économie. Ils apporteront leur savoir-faire (nous comptons beaucoup d'ingénieurs dans le centre où je travaille). Il seront nos voisins, nos médecins, nos épiciers. Nos amis, j'espère ; mais cela dépend de l'accueil que nous leur réservons. Si nous faisons preuve de méfiance et d'hostilité à leur égard, quelle est leur chance d'insertion dans notre société?

Il est facile aussi d'oublier le passé. Pendant la deuxième guerre mondiale, de nombreux Belges ont fui par peur des Allemands. Ma grand-mère est elle aussi partie sur les routes de l'exode. Elle m'a raconté que dans certains villages français, on voyait des panneaux disant : "Pas d'eau pour les Belges". Nous avons la mémoire courte, n'est-ce pas?

Enfin, que faut-il faire si nous ne les accueillons pas? Les laisser crever à notre porte? Ce sont des êtres humains. Ils sont tous le fils ou la fille de quelqu'un. Ce sont des pères, des mères, des frères, des soeurs. Laisseriez-vous votre mère, votre frère, mourir à votre porte parce que vous craignez n'avoir pas assez de place pour eux?

Si vous avez de meilleures solutions que l'accueil, une alternative humaine et compatissante, nous vous écoutons. 



mercredi 10 juin 2015

La petite casserole d'Anatole

Je voudrais partager avec vous une très belle métaphore de l'autisme que j'ai récemment découverte. C'est un livre qui s'appelle "La petite casserole d'Anatole".




C'est une façon simple d'expliquer ce que vivent les personnes autistes (y compris les personnes atteintes du syndrome d'Asperger). 

Une phrase qui me semble très importante, c'est celle-ci:

"Peu de gens réalisent qu'Anatole doit faire deux fois plus d'efforts que les autres pour y arriver." C'est tout simplement vrai.

Avec un bémol: vivre avec sa petite casserole, ce n'est pas aussi simple que trouver une petite sacoche pour l'y mettre...

mardi 26 mai 2015

Problèmes d'interactions sociales?

Comme je l'ai indiqué dans cet article, les personnes atteintes d'autisme (dont le syndrome d'Asperger fait partie) ont des difficultés dans leurs interactions sociales. Nous commettons souvent des impairs parce que nous ne sommes pas conscients de certaines règles sociales tacites, ou que nous ne nous rendons pas compte de la manière dont notre comportement affecte les autres.

Cependant, je suis consciente de mes difficultés, et je fais donc extrêmement attention. En fait, je passe mes journées à réfléchir à tout ce que je fais ou dis, par crainte de blesser ou de fâcher quelqu'un. Je surveille mes actions et mes gestes constamment. Les personnes neurotypiques (c'est-à-dire les gens qui ne sont pas autistes) n'ont pas toujours conscience de l'effort constant qu'une personne comme moi, autiste soi-disant "de haut niveau", doivent fournir pour être socialement acceptable. Mais ce qui est pire encore, c'est de faire tous ces efforts, puis de voir les gens dits "normaux" se comporter sans aucun égard pour autrui et sans aucun souci des conventions sociales les plus élémentaires telles que la politesse! On m'a appris très jeune qu'il faut dire bonjour, au revoir, s'il vous plaît et merci; et aussi qu'on ne tutoye pas les personnes avec qui on n'a pas une relation proche ou tout au moins amicale.

Aussi, quelle n'est pas ma frustration lorsque les clients du supermarché où je travaille m'adressent la parole sans dire bonjour ni s'il vous plaît, et s'arrogent le droit de me tutoyer, voire de me dire des grossièretés (souvent sous le prétexte de l'humour... si l'humour est aux dépends de quelqu'un, je suis désolée mais ce n'est pas drôle)! Et c'est moi qui ai des problèmes d'interactions sociales?

Aujourd'hui encore, une dame s'approche de moi d'un air décidé. Je pense qu'elle a besoin d'un renseignement, et je lui dit: "Bonjour madame" avec le sourire (important, le sourire, paraît-il!).

Elle me répond d'un ton brusque, en ces termes: "Dis, c'est quoi le prix de ces bouteilles, là?"

C'est là que ma petite voix sarcastique intérieure se met en marche:

Coupez! Bon madame, on va la refaire, mais cette fois, vous emploierez les mots "bonjour" et "s'il vous plaît", et vous me parlerez autrement qu'à un chien... Attention: demande de renseignement au supermarché, prise deux: Silence, on tourne!

Mais où ai-je la tête? Je suis autiste; je ne suis pas censée employer de sarcasmes...



vendredi 24 avril 2015

"Salut-tu-vas-bien"

J'ai déjà mentionné les difficultés dans les relations sociales. Aujourd'hui, je voudrais aborder ces difficultés sociales et comment elles peuvent être pénibles pour une personne atteinte du syndrome d'Asperger.

Tout d'abord, il peut être difficile pour nous de nous souvenir d'un visage dans sa globalité. Un détail retiendra sans doute plus notre attention. Nous aurons donc plus de mal à reconnaître cette personne de loin, et si, par exemple, elle change radicalement de coupe de cheveux, il se peut que nous ne la reconnaissions pas du tout.

De plus, nous associons les gens au contexte dans lequel nous les connaissons. Si nous les rencontrons hors de ce contexte, il peut nous arriver de ne pas les reconnaître. Un jour, j'étais dans le supermarché où je travaille, occupée à mettre des produits en rayon. Un jeune homme s'approche de moi; il a l'air de vouloir me poser une question. Je sors donc mon plus beau sourire commercial, tout en commençant à me dire que son visage me rappelle quelqu'un. Alors que je m'apprête à dire, "Bonjour, puis-je vous aider?", il me devance et me fait, "Salut", d'une voix et d'un ton que je reconnais alors enfin.

Je n'avais pas reconnu mon frère. Parce que je ne l'avais jamais vu dans mon magasin. Hors contexte, mon cerveau a été incapable de reconnaître le visage d'un proche qui est dans ma vie depuis 26 ans.

Ensuite, il y a les conventions sociales. En France et en Belgique, il est considéré comme normal de faire la bise pour saluer les gens, même s'ils ne sont que de vagues connaissances, même parfois si on les rencontre pour la première fois mais qu'ils sont avec des connaissances communes.

Pour moi, c'est extrêmement pénible. Je n'aime pas qu'on me touche, sauf s'il s'agit de quelqu'un en qui j'ai confiance. Serrer la main ne me dérange pas du tout, mais mon visage est une partie de mon corps que je ressens comme plus vulnérable. Me sentir socialement obligée de "l'offrir" à des personnes qui ne sont pas des proches m'est très difficile. Le problème, c'est que dans ma région, ne pas faire la bise, c'est considéré comme aussi impoli que ne pas dire bonjour. Comme je ne veux pas être impolie, je n'ai pas le choix. J'utilise parfois l'excuse: "J'ai une vilaine grippe, je ne voudrais pas te la refiler"...mais on ne peut pas faire ça à chaque fois! 

Enfin, il y a la conversation, ce que les anglais appellent "small talk". Parler pour ne rien dire. Pourquoi les neurotypiques (les non-autistes) éprouvent-ils le besoin de meubler le silence par des banalités?

"Salut-ça-va-et-toi-bisou-smack-smack-et-le-boulot-ça-va-tant-mieux-alors". Il n'y a rien que je déteste tant que de parler de mon travail. Mon travail est ennuyeux. J'aimais en parler lorsque je travaillais avec des enfants handicapés, mais parler de supermarché ou de bureau... J'aime parler littérature, cinéma, musique, philosophie, éthique. Mais si l'on a rien de passionnant à dire, pas d'information importante à partager, ne peut-on pas juste se taire plutôt que se lancer dans des platitudes telles que la météo? Certains clients se sentent obligés de dire: "Toujours au travail?" Et bien oui... puisque je suis là! Pourquoi une question sans contenu, appelant une non-réponse? Je ne comprends pas.


Pour ces raisons, si je vois de loin une connaissance dans la rue, je vais parfois tout faire pour éviter cette personne. Non pas parce que je ne l'aime pas, mais parce que je n'ai tout simplement pas envie de "jouer le jeu social".  J'aime bien les gens, mais je n'aime pas la socialisation forcée.

Voilà un comportement bien asocial...

Et pourtant, j'aime mes amis et ma famille, et j'adore passer du temps avec eux (juste pas tous à la fois!).  

Pour terminer avec le sourire... La bise, ça me fait penser au sketch des Inconnus "Auteuil-Neully-Passy" et les bises accompagnées du "salut-tu-vas-bien":



vendredi 10 avril 2015

Le parcours du combattant

Comme je l'ai expliqué dans un précédent article, travailler dans une école pour enfants autistes m'a amené à m'interroger au sujet de mon autisme potentiel.

J'ai tout d'abord effectué un test sur internet. Le psychologue Simon Baron-Cohen et ses collègues au Cambridge's Autism Research Centre (centre de recherche sur l'autisme de Cambridge) ont créé le test de quotient autistique. 80% des personnes autistes obtiennent un résultat de 32 ou plus à ce test; j'ai obtenu 34. Toutefois, je savais que ce test à lui seul n'était pas déterminant.

Je me suis donc adressée à mon médecin. Je lui ai donné une lettre expliquant les raisons pour lesquelles je pensais être, peut-être, atteinte du syndrome d'Asperger. Ces raisons étaient, entre autres, celles listées dans mon précédent article. Il a donc fait passer ma requête à un centre de diagnostics psychiatriques.

Hélas, j'ai reçu un lettre brève et sèche dans laquelle on me faisait savoir que je ne "répondait pas aux critères d'un diagnostic". Ces personnes, sans même m'avoir rencontrée, avaient décidé qu'il ne valait pas la peine de me consacrer leur temps... J'étais effondrée, car j'avais besoin de réponses.

Je me suis alors tournée vers la directrice de mon école. Elle m'a informée qu'un autre membre du personnel avait le syndrome d'Asperger et que s'il était d'accord, il pourrait peut-être m'aiguiller. Effectivement, il m'a donné les coordonnées d'une psychiatre spécialiste de l'autisme dans ma ville.

Alors que je m'apprêtais à la contacter, j'ai reçu une lettre de mon médecin... m'informant que j'avais rendez-vous avec la psychiatre dont mon collègue m'avait donné les coordonnées!

L'entretien s'est très bien passé. Elle m'a posé des questions sur mon enfance, mes parents, ma scolarité, ma vie professionnelle et affective. Puis, elle a fait quelques expériences-jeux avec moi, entre autres, elle m'a donné un livre d'images sans texte en me demandant de raconter l'histoire.



Ses conclusions ont non seulement confirmé que j'avais le syndrome d'Asperger, mais aussi que je m'en sortais très bien malgré les difficultés qu'il peut engendrer. Entre autres, durant toute ma vie d'adulte, j'ai pu travailler et vivre de façon indépendante.

Elle m'a mise en contact avec un groupe de personnes ayant également reçu un diagnostic à l'âge adulte, qui sont devenus de très bons amis; et m'a recommandé la lecture d'un ouvrage traitant des femmes atteinte du syndrome d'Asperger: Asperger's and Girls. J'ai également lu l'excellent Aspergirls de Rudy Simone, qui a été traduit en français depuis. Ces ouvrages m'ont beaucoup aidé à mieux comprendre ce que je vivais.

Recevoir mon diagnostic a été un grand soulagement. Enfin, je comprenais "ce qui n'allait pas chez moi". Enfin, je savais pourquoi j'avais vécu ce que j'avais vécu, ressenti ce que j'avais ressenti. De plus, j'état désormais mieux équipée pour faire face aux défis et difficultés liés à mon syndrome.

Voilà pourquoi je recommande à toute personne qui s'interroge à ce sujet de chercher à en avoir le coeur net. En effet, si vous vous méprenez, cela vous empêchera d'être sur une fausse piste, et si vous avez effectivement un syndrome de type autiste, cela vous permettra de mieux le gérer au quotidien.

mardi 10 février 2015

Mes interrogations - Un Martien dans la cour de récré

A l'époque où j'ai lu "Martian in the playground" de Clare Sainsbury, ce livre m'a tant marqué que j'ai mis par écrit les interrogations qu'il provoquait en moi. Je vais donc partager ces réflexions, écrites en 2010 (pré-diagnostic).



"Dans ce livre, l'auteur partage son expérience et celle d'autre personnes atteintes du syndrome d'Asperger. Or, le lisant, je ne pouvais pas m'empêcher de penser: "Je faisais ça aussi!", "Je faisais ça tout le temps!", "C'est exactement ce que je ressentais à l'école!" ou encore, "Cela m'est arrivé aussi" et "Je fais toujours ça!" Après l'avoir terminé, je me rends compte que beaucoup de difficultés que j'ai éprouvées étant enfant, voire que j'éprouve toujours, pourraient être expliquées par l'autisme. Des exemples similaires à ceux du livre:

- Il m'est difficile de discerner quand les gens blaguent, et je prends ce qu'ils me disent pour argent comptant. Au mieux, ça fait rire les gens parce que j'ai cru à une histoire à dormir debout, au pire, certaines personnes ont profité du fait que j'ai cru exactement ce qu'ils m'ont dit.

- J'ai du mal à prendre conscience des règles sociales tacites, et quand on me les fait remarquer, je n'en comprends pas toujours le sens ni la raison. Je fais parfois des choses que les autres trouvent étranges; d'ailleurs, quand j'étais petite, les autres enfants me traitaient de folle.

- J'ai une logique bien à moi qui ne correspond pas toujours à celle des autres ou même au bon sens.

- Je ne sais pas toujours comment démarrer ou entretenir une conversation socialement convenable, ce qui m'a déjà posé problème au travail.

- J'ai tendance à dire ce qui me passe par la tête sans penser à la façon dont les autres vont le percevoir. Il est arrivé que je blesse profondément des gens sans le vouloir.

- Au travail, je préfère qu'on me dise spécifiquement comment faire, sinon, je pense toujours mal m'y prendre.

- J'ai eu des problème pour situer mon corps dans l'espace toute ma vie ainsi que des problèmes de psychomotricité - une façon élaborée de dire que je suis très maladroite. Je me cogne parce que je n'ai pas bien évalué la distance entre mon corps et un obstacle. J'étais nulle en sports parce que la coordination de mes mouvements est très mauvaise.

- J'ai eu beaucoup d'intérêts spécifiques au sujet desquels j'accumulais des informations. 

- Je suis hypersensible à certains bruits.

- Enfant, je mâchais toute sorte de choses exactement comme mes élèves autistes (crayons, gommes, papier...).

- Difficulté à me concentrer quand il y a trop de stimuli extérieurs (comme le bruit), difficulté à me concentrer sur plus d'une conversation à la fois. Je déteste être dans un grand groupe de personnes qui discutent: je n'arrive pas à suivre.

- Enfant, j'étais considérée comme asociale et je n'étais pas très douée pour me faire des amis.

- J'éprouve des difficultés à m'organiser et à planifier."

dimanche 8 février 2015

Réveil

Lorsque j'était enfant, je disais parfois à ma mère: "Je n'ai pas besoin des autres. Les livres me suffisent." 

J'étais mal à l'aise avec les autres, à l'exception de ma mère. Je ne les comprenais pas, et je ne me sentais pas comprise. Alors, les livres étaient un bon moyen d'évasion; un cocon dans lequel me réfugier. Les livres ne sont pas angoissants. Les intentions des personnages sont souvent explicites; leurs pensées et émotions, leur raisons d'agir sont détaillées. Il est alors facile de les comprendre. Malheureusement, c'est rarement le cas dans la vie, et donc, les gens sont totalement imprévisibles. C'est pour cela qu'il m'était plus facile de prétendre n'avoir pas besoin d'eux.

Pourtant, en grandissant j'ai confusément pris conscience de ne pas pouvoir vivre isolée, sans les autres.

Je me souviens, j'ai douze ans. J'ai fini l'école primaire et je vais entrer en secondaire. Ma mère s'inquiète au sujet des mes difficultés sociales. La fille d'une de ses collègues, Delphine, sera dans la même école que moi.

Maman me dit: "Delphine n'a pas un bon souvenir de toi. Elle dira à tout le monde que tu es une mauvaise, et personne ne voudra être ton amie."

Je me souviens avoir pensé: "Je ne veux pas que Delphine me déteste. Je ne veux pas que les gens me croient méchante."

Alors, sans rien dire à maman, je prends mon vélo et je vais jusque chez Delphine, dans une village à plusieurs kilomètres. Je ne suis jamais allée si loin seule en vélo.

Je ne sais pas ce que je vais faire, ce que je vais dire à Delphine. Je veux juste que les choses soient différentes, changer sa perception.

Je ne me souviens pas si j'ai parlé à Delphine, seulement que sa maman m'a offert une limonade avant de me reconduire chez moi en voiture. Rien n'a changé, Delphine n'est pas devenue mon amie, et j'ai eu de grosses difficultés relationnelles en secondaire. Mais confusément, quelque chose avait changé en moi. Je voulais aller vers les autres.

samedi 7 février 2015

Des similarités troublantes

En 2009, j'ai obtenu un poste d'assistante à l'institutrice dans une école pour enfants autistes, en Angleterre. Je connaissais peu l'autisme auparavant, j'ai donc appris en quoi ce type de syndrome consistait via des formations continues dans le cadre de mon travail ainsi que des lectures d'ouvrages spécialisés.


J'ai commencé à être intriguée par certains comportements de mes élèves, des comportements que l'on présentait comme typiques de l'autisme. Des comportements que moi-même j'avais eu étant enfant, voire même que j'avais toujours.

Les personnes atteintes de troubles autistiques éprouvent des difficultés à assimiler l'information, d'autant plus si elles sont confrontées à plusieurs informations en même temps - c'est pour cela que l'on recommande donner des instructions courtes, claires et précises à un enfant autiste, ainsi que de ne donner qu'une seule instruction à la fois. Les bruits "parasites" sont également un gros problème, car le cerveau autiste ne parvient pas à les filtrer. Afin de couvrir l'agression parasite constante des bruits environnants, beaucoup d'autistes murmurent ou chantonnent continuellement.

Or, un de mes premiers souvenirs à l'école est l'institutrice me répétant: "Virginie, arrête de chantonner!". De plus, les bruits environnants, spécialement quand je dois tenir une conversation, me posent un réel problème, et travailler dans un environnement bruyant m'épuise. Lorsque l'on m'adresse la parole, si on ne dit pas d'abord mon nom, je n'enregistre rien, car les paroles se noient dans la cacophonie que je perçois et que mon cerveau n'arrive pas à trier.

Les autistes qui peuvent parler ont du mal à prendre conscience de l'impact que leurs paroles peuvent avoir sur les autres, et à dire tout ce qui leur passe par la tête. Enfant, je faisais exactement cela. Ma mère me reprenait souvent pour m'expliquer que l'on ne peut pas dire telle ou telle chose, et j'ai très vite acquis la réputation d'une enfant fort désagréable! Je me souviens avoir dit à une amie de maman: "Ta voiture est une poubelle." J'avais entendu maman dire la même chose de ma chambre qui était en désordre, et il y avait beaucoup de désordre dans la voiture de son amie. Pour moi, il était donc logique de le lui dire; je n'avais pas pensé une seconde que mes paroles pourraient la vexer...

Beaucoup de mes élèves agitaient rapidement leurs mains devant leur visage, parfois en chantonnant ou en gémissant, et ce comportement était plus prononcé lorsqu'ils étaient stressés ou concentrés. 

Petite, je passais de longues heures à tourner en rond autour de la table de la salle à manger, ou dans la cour de récréation, en me chuchotant des histoires. En même temps, j'agitais mes mains devant mon visage - mes parents me l'on souvent rappelé en riant quand je suis devenue plus grande, mais sans jamais se douter qu'il s'agissait là d'un comportement de type autiste.

Lorsque je suis concentrée sur quelque chose qui me passionne, telle que la lecture, je deviens sourde et aveugle à tout ce qui m'entoure, et je peux perdre complètement la notion du temps ; tout comme mes élèves. 

Petite, j'avais aussi la manie de machouiller des crayons, des gommes, du papier ; or certains enfants autistes dont je m'occupait faisaient de même.

Ces petites choses m'intriguaient.

Le déclic s'est produit lors de la lecture d'un ouvrage de Clare Sainsbury, Martian in the Playground (Un martien dans la cour de récré). L'auteur y décrit et explique ses expérience et celle d'autres personnes atteintes, comme elle, du syndrome d'Asperger. Je me suis reconnue dans énormément de ce qu'elle décrivait, dont les problèmes relationnels (j'en ai parlé dans mes blogs précédents), mais aussi, par exemple, le syndrome du "petit professeur".

En effet, beaucoup d'autistes développent un ou plusieurs intérêts que l'on qualifie d'obsessionnels. L'exemple-type est la fascination pour les trains, mais il peut s'agir de n'importe quoi! Si la personne autiste sait lire, elle va emmagasiner énormément d'information à ce sujet qu'elle va ensuite régurgiter, que cela intéresse son interlocuteur ou non. Elle va également rectifier toute erreur perçue dans ce que dit l'autre personne.

J'ai appris à lire à 4 ans, et depuis cet âge, j'ai lu avidement énormément de livres. Le premier effet de mes lectures a été une bonne maîtrise du français et un vocabulaire plus étendu que la plupart des enfants de mon âge. Il n'était pas rare que je corrige quelqu'un, même une grande personne, si elle faisait une faute de français: "C'est pas comme ça qu'on dit!", m'exclamais-je alors. Ou alors, "Mais non, voyons, les trilobites vivaient à l'époque du Cambrien, bien avant les dinosaures!"

Mes intérêts, au cours des années, ont inclus les dinosaures, la mythologie gréco-romaine, l'antiquité égyptienne, les camions américains, le conflit israélo-palestinien, les renards, l'héroïc fantasy et les zombies. Je reparlerai plus en détails des intérêts "obsessionnels" dans un autre article.

Donc, en lisant ce livre, je découvrais énormément de similarités troublantes entres les personnes atteintes du syndrome d'Asperger et moi. C'est ce qui a déclenché ma recherche d'un diagnostic pour infirmer ou confirmer mes soupçons... Cette recherche sera le sujet d'un prochain blog.



Photo: Swindon Advertiser, 2 avril 2009. http://www.swindonadvertiser.co.uk/news/local/4253290.display