mardi 10 février 2015

Mes interrogations - Un Martien dans la cour de récré

A l'époque où j'ai lu "Martian in the playground" de Clare Sainsbury, ce livre m'a tant marqué que j'ai mis par écrit les interrogations qu'il provoquait en moi. Je vais donc partager ces réflexions, écrites en 2010 (pré-diagnostic).



"Dans ce livre, l'auteur partage son expérience et celle d'autre personnes atteintes du syndrome d'Asperger. Or, le lisant, je ne pouvais pas m'empêcher de penser: "Je faisais ça aussi!", "Je faisais ça tout le temps!", "C'est exactement ce que je ressentais à l'école!" ou encore, "Cela m'est arrivé aussi" et "Je fais toujours ça!" Après l'avoir terminé, je me rends compte que beaucoup de difficultés que j'ai éprouvées étant enfant, voire que j'éprouve toujours, pourraient être expliquées par l'autisme. Des exemples similaires à ceux du livre:

- Il m'est difficile de discerner quand les gens blaguent, et je prends ce qu'ils me disent pour argent comptant. Au mieux, ça fait rire les gens parce que j'ai cru à une histoire à dormir debout, au pire, certaines personnes ont profité du fait que j'ai cru exactement ce qu'ils m'ont dit.

- J'ai du mal à prendre conscience des règles sociales tacites, et quand on me les fait remarquer, je n'en comprends pas toujours le sens ni la raison. Je fais parfois des choses que les autres trouvent étranges; d'ailleurs, quand j'étais petite, les autres enfants me traitaient de folle.

- J'ai une logique bien à moi qui ne correspond pas toujours à celle des autres ou même au bon sens.

- Je ne sais pas toujours comment démarrer ou entretenir une conversation socialement convenable, ce qui m'a déjà posé problème au travail.

- J'ai tendance à dire ce qui me passe par la tête sans penser à la façon dont les autres vont le percevoir. Il est arrivé que je blesse profondément des gens sans le vouloir.

- Au travail, je préfère qu'on me dise spécifiquement comment faire, sinon, je pense toujours mal m'y prendre.

- J'ai eu des problème pour situer mon corps dans l'espace toute ma vie ainsi que des problèmes de psychomotricité - une façon élaborée de dire que je suis très maladroite. Je me cogne parce que je n'ai pas bien évalué la distance entre mon corps et un obstacle. J'étais nulle en sports parce que la coordination de mes mouvements est très mauvaise.

- J'ai eu beaucoup d'intérêts spécifiques au sujet desquels j'accumulais des informations. 

- Je suis hypersensible à certains bruits.

- Enfant, je mâchais toute sorte de choses exactement comme mes élèves autistes (crayons, gommes, papier...).

- Difficulté à me concentrer quand il y a trop de stimuli extérieurs (comme le bruit), difficulté à me concentrer sur plus d'une conversation à la fois. Je déteste être dans un grand groupe de personnes qui discutent: je n'arrive pas à suivre.

- Enfant, j'étais considérée comme asociale et je n'étais pas très douée pour me faire des amis.

- J'éprouve des difficultés à m'organiser et à planifier."

dimanche 8 février 2015

Réveil

Lorsque j'était enfant, je disais parfois à ma mère: "Je n'ai pas besoin des autres. Les livres me suffisent." 

J'étais mal à l'aise avec les autres, à l'exception de ma mère. Je ne les comprenais pas, et je ne me sentais pas comprise. Alors, les livres étaient un bon moyen d'évasion; un cocon dans lequel me réfugier. Les livres ne sont pas angoissants. Les intentions des personnages sont souvent explicites; leurs pensées et émotions, leur raisons d'agir sont détaillées. Il est alors facile de les comprendre. Malheureusement, c'est rarement le cas dans la vie, et donc, les gens sont totalement imprévisibles. C'est pour cela qu'il m'était plus facile de prétendre n'avoir pas besoin d'eux.

Pourtant, en grandissant j'ai confusément pris conscience de ne pas pouvoir vivre isolée, sans les autres.

Je me souviens, j'ai douze ans. J'ai fini l'école primaire et je vais entrer en secondaire. Ma mère s'inquiète au sujet des mes difficultés sociales. La fille d'une de ses collègues, Delphine, sera dans la même école que moi.

Maman me dit: "Delphine n'a pas un bon souvenir de toi. Elle dira à tout le monde que tu es une mauvaise, et personne ne voudra être ton amie."

Je me souviens avoir pensé: "Je ne veux pas que Delphine me déteste. Je ne veux pas que les gens me croient méchante."

Alors, sans rien dire à maman, je prends mon vélo et je vais jusque chez Delphine, dans une village à plusieurs kilomètres. Je ne suis jamais allée si loin seule en vélo.

Je ne sais pas ce que je vais faire, ce que je vais dire à Delphine. Je veux juste que les choses soient différentes, changer sa perception.

Je ne me souviens pas si j'ai parlé à Delphine, seulement que sa maman m'a offert une limonade avant de me reconduire chez moi en voiture. Rien n'a changé, Delphine n'est pas devenue mon amie, et j'ai eu de grosses difficultés relationnelles en secondaire. Mais confusément, quelque chose avait changé en moi. Je voulais aller vers les autres.

samedi 7 février 2015

Des similarités troublantes

En 2009, j'ai obtenu un poste d'assistante à l'institutrice dans une école pour enfants autistes, en Angleterre. Je connaissais peu l'autisme auparavant, j'ai donc appris en quoi ce type de syndrome consistait via des formations continues dans le cadre de mon travail ainsi que des lectures d'ouvrages spécialisés.


J'ai commencé à être intriguée par certains comportements de mes élèves, des comportements que l'on présentait comme typiques de l'autisme. Des comportements que moi-même j'avais eu étant enfant, voire même que j'avais toujours.

Les personnes atteintes de troubles autistiques éprouvent des difficultés à assimiler l'information, d'autant plus si elles sont confrontées à plusieurs informations en même temps - c'est pour cela que l'on recommande donner des instructions courtes, claires et précises à un enfant autiste, ainsi que de ne donner qu'une seule instruction à la fois. Les bruits "parasites" sont également un gros problème, car le cerveau autiste ne parvient pas à les filtrer. Afin de couvrir l'agression parasite constante des bruits environnants, beaucoup d'autistes murmurent ou chantonnent continuellement.

Or, un de mes premiers souvenirs à l'école est l'institutrice me répétant: "Virginie, arrête de chantonner!". De plus, les bruits environnants, spécialement quand je dois tenir une conversation, me posent un réel problème, et travailler dans un environnement bruyant m'épuise. Lorsque l'on m'adresse la parole, si on ne dit pas d'abord mon nom, je n'enregistre rien, car les paroles se noient dans la cacophonie que je perçois et que mon cerveau n'arrive pas à trier.

Les autistes qui peuvent parler ont du mal à prendre conscience de l'impact que leurs paroles peuvent avoir sur les autres, et à dire tout ce qui leur passe par la tête. Enfant, je faisais exactement cela. Ma mère me reprenait souvent pour m'expliquer que l'on ne peut pas dire telle ou telle chose, et j'ai très vite acquis la réputation d'une enfant fort désagréable! Je me souviens avoir dit à une amie de maman: "Ta voiture est une poubelle." J'avais entendu maman dire la même chose de ma chambre qui était en désordre, et il y avait beaucoup de désordre dans la voiture de son amie. Pour moi, il était donc logique de le lui dire; je n'avais pas pensé une seconde que mes paroles pourraient la vexer...

Beaucoup de mes élèves agitaient rapidement leurs mains devant leur visage, parfois en chantonnant ou en gémissant, et ce comportement était plus prononcé lorsqu'ils étaient stressés ou concentrés. 

Petite, je passais de longues heures à tourner en rond autour de la table de la salle à manger, ou dans la cour de récréation, en me chuchotant des histoires. En même temps, j'agitais mes mains devant mon visage - mes parents me l'on souvent rappelé en riant quand je suis devenue plus grande, mais sans jamais se douter qu'il s'agissait là d'un comportement de type autiste.

Lorsque je suis concentrée sur quelque chose qui me passionne, telle que la lecture, je deviens sourde et aveugle à tout ce qui m'entoure, et je peux perdre complètement la notion du temps ; tout comme mes élèves. 

Petite, j'avais aussi la manie de machouiller des crayons, des gommes, du papier ; or certains enfants autistes dont je m'occupait faisaient de même.

Ces petites choses m'intriguaient.

Le déclic s'est produit lors de la lecture d'un ouvrage de Clare Sainsbury, Martian in the Playground (Un martien dans la cour de récré). L'auteur y décrit et explique ses expérience et celle d'autres personnes atteintes, comme elle, du syndrome d'Asperger. Je me suis reconnue dans énormément de ce qu'elle décrivait, dont les problèmes relationnels (j'en ai parlé dans mes blogs précédents), mais aussi, par exemple, le syndrome du "petit professeur".

En effet, beaucoup d'autistes développent un ou plusieurs intérêts que l'on qualifie d'obsessionnels. L'exemple-type est la fascination pour les trains, mais il peut s'agir de n'importe quoi! Si la personne autiste sait lire, elle va emmagasiner énormément d'information à ce sujet qu'elle va ensuite régurgiter, que cela intéresse son interlocuteur ou non. Elle va également rectifier toute erreur perçue dans ce que dit l'autre personne.

J'ai appris à lire à 4 ans, et depuis cet âge, j'ai lu avidement énormément de livres. Le premier effet de mes lectures a été une bonne maîtrise du français et un vocabulaire plus étendu que la plupart des enfants de mon âge. Il n'était pas rare que je corrige quelqu'un, même une grande personne, si elle faisait une faute de français: "C'est pas comme ça qu'on dit!", m'exclamais-je alors. Ou alors, "Mais non, voyons, les trilobites vivaient à l'époque du Cambrien, bien avant les dinosaures!"

Mes intérêts, au cours des années, ont inclus les dinosaures, la mythologie gréco-romaine, l'antiquité égyptienne, les camions américains, le conflit israélo-palestinien, les renards, l'héroïc fantasy et les zombies. Je reparlerai plus en détails des intérêts "obsessionnels" dans un autre article.

Donc, en lisant ce livre, je découvrais énormément de similarités troublantes entres les personnes atteintes du syndrome d'Asperger et moi. C'est ce qui a déclenché ma recherche d'un diagnostic pour infirmer ou confirmer mes soupçons... Cette recherche sera le sujet d'un prochain blog.



Photo: Swindon Advertiser, 2 avril 2009. http://www.swindonadvertiser.co.uk/news/local/4253290.display