vendredi 24 avril 2015

"Salut-tu-vas-bien"

J'ai déjà mentionné les difficultés dans les relations sociales. Aujourd'hui, je voudrais aborder ces difficultés sociales et comment elles peuvent être pénibles pour une personne atteinte du syndrome d'Asperger.

Tout d'abord, il peut être difficile pour nous de nous souvenir d'un visage dans sa globalité. Un détail retiendra sans doute plus notre attention. Nous aurons donc plus de mal à reconnaître cette personne de loin, et si, par exemple, elle change radicalement de coupe de cheveux, il se peut que nous ne la reconnaissions pas du tout.

De plus, nous associons les gens au contexte dans lequel nous les connaissons. Si nous les rencontrons hors de ce contexte, il peut nous arriver de ne pas les reconnaître. Un jour, j'étais dans le supermarché où je travaille, occupée à mettre des produits en rayon. Un jeune homme s'approche de moi; il a l'air de vouloir me poser une question. Je sors donc mon plus beau sourire commercial, tout en commençant à me dire que son visage me rappelle quelqu'un. Alors que je m'apprête à dire, "Bonjour, puis-je vous aider?", il me devance et me fait, "Salut", d'une voix et d'un ton que je reconnais alors enfin.

Je n'avais pas reconnu mon frère. Parce que je ne l'avais jamais vu dans mon magasin. Hors contexte, mon cerveau a été incapable de reconnaître le visage d'un proche qui est dans ma vie depuis 26 ans.

Ensuite, il y a les conventions sociales. En France et en Belgique, il est considéré comme normal de faire la bise pour saluer les gens, même s'ils ne sont que de vagues connaissances, même parfois si on les rencontre pour la première fois mais qu'ils sont avec des connaissances communes.

Pour moi, c'est extrêmement pénible. Je n'aime pas qu'on me touche, sauf s'il s'agit de quelqu'un en qui j'ai confiance. Serrer la main ne me dérange pas du tout, mais mon visage est une partie de mon corps que je ressens comme plus vulnérable. Me sentir socialement obligée de "l'offrir" à des personnes qui ne sont pas des proches m'est très difficile. Le problème, c'est que dans ma région, ne pas faire la bise, c'est considéré comme aussi impoli que ne pas dire bonjour. Comme je ne veux pas être impolie, je n'ai pas le choix. J'utilise parfois l'excuse: "J'ai une vilaine grippe, je ne voudrais pas te la refiler"...mais on ne peut pas faire ça à chaque fois! 

Enfin, il y a la conversation, ce que les anglais appellent "small talk". Parler pour ne rien dire. Pourquoi les neurotypiques (les non-autistes) éprouvent-ils le besoin de meubler le silence par des banalités?

"Salut-ça-va-et-toi-bisou-smack-smack-et-le-boulot-ça-va-tant-mieux-alors". Il n'y a rien que je déteste tant que de parler de mon travail. Mon travail est ennuyeux. J'aimais en parler lorsque je travaillais avec des enfants handicapés, mais parler de supermarché ou de bureau... J'aime parler littérature, cinéma, musique, philosophie, éthique. Mais si l'on a rien de passionnant à dire, pas d'information importante à partager, ne peut-on pas juste se taire plutôt que se lancer dans des platitudes telles que la météo? Certains clients se sentent obligés de dire: "Toujours au travail?" Et bien oui... puisque je suis là! Pourquoi une question sans contenu, appelant une non-réponse? Je ne comprends pas.


Pour ces raisons, si je vois de loin une connaissance dans la rue, je vais parfois tout faire pour éviter cette personne. Non pas parce que je ne l'aime pas, mais parce que je n'ai tout simplement pas envie de "jouer le jeu social".  J'aime bien les gens, mais je n'aime pas la socialisation forcée.

Voilà un comportement bien asocial...

Et pourtant, j'aime mes amis et ma famille, et j'adore passer du temps avec eux (juste pas tous à la fois!).  

Pour terminer avec le sourire... La bise, ça me fait penser au sketch des Inconnus "Auteuil-Neully-Passy" et les bises accompagnées du "salut-tu-vas-bien":



vendredi 10 avril 2015

Le parcours du combattant

Comme je l'ai expliqué dans un précédent article, travailler dans une école pour enfants autistes m'a amené à m'interroger au sujet de mon autisme potentiel.

J'ai tout d'abord effectué un test sur internet. Le psychologue Simon Baron-Cohen et ses collègues au Cambridge's Autism Research Centre (centre de recherche sur l'autisme de Cambridge) ont créé le test de quotient autistique. 80% des personnes autistes obtiennent un résultat de 32 ou plus à ce test; j'ai obtenu 34. Toutefois, je savais que ce test à lui seul n'était pas déterminant.

Je me suis donc adressée à mon médecin. Je lui ai donné une lettre expliquant les raisons pour lesquelles je pensais être, peut-être, atteinte du syndrome d'Asperger. Ces raisons étaient, entre autres, celles listées dans mon précédent article. Il a donc fait passer ma requête à un centre de diagnostics psychiatriques.

Hélas, j'ai reçu un lettre brève et sèche dans laquelle on me faisait savoir que je ne "répondait pas aux critères d'un diagnostic". Ces personnes, sans même m'avoir rencontrée, avaient décidé qu'il ne valait pas la peine de me consacrer leur temps... J'étais effondrée, car j'avais besoin de réponses.

Je me suis alors tournée vers la directrice de mon école. Elle m'a informée qu'un autre membre du personnel avait le syndrome d'Asperger et que s'il était d'accord, il pourrait peut-être m'aiguiller. Effectivement, il m'a donné les coordonnées d'une psychiatre spécialiste de l'autisme dans ma ville.

Alors que je m'apprêtais à la contacter, j'ai reçu une lettre de mon médecin... m'informant que j'avais rendez-vous avec la psychiatre dont mon collègue m'avait donné les coordonnées!

L'entretien s'est très bien passé. Elle m'a posé des questions sur mon enfance, mes parents, ma scolarité, ma vie professionnelle et affective. Puis, elle a fait quelques expériences-jeux avec moi, entre autres, elle m'a donné un livre d'images sans texte en me demandant de raconter l'histoire.



Ses conclusions ont non seulement confirmé que j'avais le syndrome d'Asperger, mais aussi que je m'en sortais très bien malgré les difficultés qu'il peut engendrer. Entre autres, durant toute ma vie d'adulte, j'ai pu travailler et vivre de façon indépendante.

Elle m'a mise en contact avec un groupe de personnes ayant également reçu un diagnostic à l'âge adulte, qui sont devenus de très bons amis; et m'a recommandé la lecture d'un ouvrage traitant des femmes atteinte du syndrome d'Asperger: Asperger's and Girls. J'ai également lu l'excellent Aspergirls de Rudy Simone, qui a été traduit en français depuis. Ces ouvrages m'ont beaucoup aidé à mieux comprendre ce que je vivais.

Recevoir mon diagnostic a été un grand soulagement. Enfin, je comprenais "ce qui n'allait pas chez moi". Enfin, je savais pourquoi j'avais vécu ce que j'avais vécu, ressenti ce que j'avais ressenti. De plus, j'état désormais mieux équipée pour faire face aux défis et difficultés liés à mon syndrome.

Voilà pourquoi je recommande à toute personne qui s'interroge à ce sujet de chercher à en avoir le coeur net. En effet, si vous vous méprenez, cela vous empêchera d'être sur une fausse piste, et si vous avez effectivement un syndrome de type autiste, cela vous permettra de mieux le gérer au quotidien.